PHOTOS de VENISE et de FRANCE

TOUS  LES  TEXTES

 

 

REVES  ET  FLANERIES


1


Une fragile fleur vivait dans la pénombre,
En craignant du soleil les rayons pleins de feu.
Un érable était là, qui la couvrait de l'ombre
De son feuillage épais qui cachait le ciel bleu.

Un bûcheron passa, qui cherchait sa victime;
Il regarda l'érable, et le trouva fort beau.
L'arbre ne savait pas que rien ne ranime
Un tronc qu'on a brisé, puis mis dans le fourneau.

Et la fragile fleur, seule sans son érable,
Ne pouvait désormais qu'attendre, et puis mourir.
Un nuage la vit, et vint la secourir

Opposant au soleil son corps impénétrable.
Le soleil, irrité de voir tant de candeur,
D'un rayon fit périr le nuage et la fleur.


(Sonnet tiré de mon roman Je la voyais dans le miroir.)


2


Mon chat et mon oiseau vivaient en bonne entente,
Et mon chat écoutait son cher oiseau chanter.
Et toujours côte à côte, ils paraissaient s'aimer,
Simplement, tendrement, d'une amour peu fréquente.

Mon chat allait souvent dans le jardin d'en face,
Il chassait nuit et jour tout ce qui s'y trouvait.
Vif, agile et adroit, sur la proie il sautait
Puis il disparaissait, ne laissant pas de trace.

Un beau jour mon oiseau partit par la fenêtre,
Mon chat, dans le jardin, ne le reconnut pas.
Et selon sa coutume, il chercha son trépas

Et il bondit sur lui, le privant de son être.
Mon chat le retourna, puis il le vit sans fard
Et il le reconnut, mais il était trop tard.


3


Même les vagues s'ennuient, qui viennent caresser le sable par petits coups. J'ai lu, j'ai regardé la mer qui dort tout autant que les assoiffés du soleil que je ne vois jamais vivre.
J'irai dîner ce soir, de la cuisine provençale; ce sera bon. Le concert d'hier a beaucoup plu à tout le monde.
Avant-hier, il a fallu aller en promenade où l'on ne peut qu'effleurer les paysages sans jamais pouvoir donner un instant de sa vie - sa vraie vie - à ce qui s'y cache.
On me parle, je réponds; personne n'est là.
La vie existe pourtant, j'en suis sûr.
Ah! Si tu avais été là!


4


Ô soleil qui ce soir a quitté ma montagne!
Au firmament d'Albion lorsque tu paraîtras,
Va voir au tourbillon des fêtes de campagne
La belle qui m'oublie et qui ne m'écrit pas.


5


Un aigle dans le ciel regarde vers la terre,
De son regard perçant cherche-t-il un ami?
Je le vois maintenant, je vois ce qu'il enserre,
Un être délicat contre lui s'est blotti.

Mais l'impérieuse faim, cadeau de la nature
Qui veille à notre vie et notre corps forma,
Donna l'ordre à l'oiseau de saisir sa pâture;
L'aigle prit son envol et l'agneau dévora.

Mais dans la basse-cour règnent l'ordre et le calme,
Et la cruauté pure est rejetée au loin.
Le canard dans la mare a fait tremper sa palme,

La poule, à petits pas, prend son grain avec soin,
Le porc aime le son, dans lequel il se vautre.
Heureux sont ces amis; aucun n'a faim de l'autre.


6


Je parais immobile, et cet homme qui passe
Ne voit en moi qu'un arbre, et ne cherche plus loin.
Et si mes fruits sont bons, jamais il ne s'en lasse,
Et pour sa subsistance, il en a pris grand soin.

Pour lui je ne vois rien, et n'entends pas grand chose
Il passe près de moi sans même regarder,
Cependant s'il fait chaud, sous moi l'homme repose,
Puis restauré repart aux champs pour travailler.

Je reste solitaire, observant la colline,
Les chemins sinueux, les orges et les blés
Les nuages du ciel, le soleil qui décline,

Sur les pentes, les champs, et dans le val, les prés.
L'homme a quitté son champ, et sa tâche finie,
D'abord il prend mes fruits, ensuite il prend ma vie.


7


Ce jour, j'avais huit ans, était un jour de liesse;
Tout le monde était là, venu pour me fêter,
Amis avec éclat, parents avec tendresse,
La joie était partout, point besoin de penser.

Pourquoi quelqu'un a-t-il parlé d'obéissance,
Quelque part, tout au fond, dans un coin du salon?
Les enfants, l'écoutant, furent pris de défiance,
Tandis que les parents le trouvèrent fort bon.

On nous questionna, les réponses fusèrent.
Chacun fit la réponse à laquelle on s'attend,
Et moi, comme toujours, trouvant ce qui surprend,

J'eus ces mots, loin de ceux que les parents espèrent,
Je vous écouterai, j'écouterai la loi.
Mais je jugerai seul, car ma vie est à moi.


8


Moi, je suis le ruisseau; du mont je reçois l'eau
Et je la distribue à ceux que je visite.
Je coule dans un pré, que je rendrai très beau.
Un arbre est près de moi, qui du soleil m'abrite.

Une vache s'approche, et voici mon cadeau
Qu'elle boit longuement, auprès de sa compagne.
L'arbre, l'herbe et la fleur, et plus loin le hameau
Boivent l'eau que j'apporte, et forment la campagne.

Certains, que le ruisseau ne cesse d'appeler,
Vont courageusement tous dans l'eau sans attendre.
L'herbe va se baigner, le poisson va nager,

Et leur soif apaisée, un repos ils vont prendre.
Et l'eau, qui s'évapore et revient sur le mont,
Sa vie elle a perdue; ainsi les hommes font.


9


Le poëme du vendredi


Un tout petit quatrain
S'en va prendre le train.

Le train du soir, vite, s'en va,
Vendredi, comme d'habitude.
Il va, fuyant la solitude,
Voir Demoiselle Etcetera.


10


Dans un tendre ciel bleu se repose un nuage.
Sur le calme coteau, qui descend doucement,
Un village assoupi s'étire lentement.
Et là-bas dans le pré, rêve une fleur sauvage.

Du village là-haut, un chemin qui serpente,
Le chemin est en terre, au soleil il blanchit,
Bien souvent rien n'y roule, alors d'herbe il s'emplit,
Et paresseusement, suit les plis de la pente.

Près d'une grande croix, ressortant d'un vallon,
En ce jour plein de rêve et de douceur sereine,
Un lourd chariot que tire un cheval à la peine.

Dans ce pré loin de tout où l'herbe sent si bon,
Une petite fille aux yeux pleins de merveille
Se tient près d'une vache à laquelle elle veille.


11


Un garçon somnolait, assis paisiblement
Sur le bord d'un talus, sans penser à grand chose.
Une fille passa, la joue au teint de rose.
Le garçon la vit-il? on ne sait pas vraiment.

La fille repassa, mais de sa bicyclette,
La chaîne était fripée, et puis elle grinçait.
Attiré par le bruit, le garçon s'éveillait,
Sensible au tintement de la claire sonnette.

La fille le vit-elle? on peut le supposer,
Car son petit coup d'oeil fit voir son attirance;
Et elle s'arrêta, prétendant réparer

La chaîne, de ses doigts, sautant avec constance.
Et voyant dans ses yeux un air désespéré,
Le garçon s'approcha, le tour était joué.


12


Un tout petit village, une fête foraine
Qui n'ouvre que demain, et le manège attend.
Une petite fille, au blanc tricot de laine,
Assise auprès de lui, son lent regard suspend.

Devant elle, impassible, un éléphant l'invite,
Un peu derrière lui, le suit un fier cheval,
Le plafond est bien bas, et la girafe hésite
A monter tout là-haut son col original.

Un avion, une auto, puis une bicyclette,
Et la petite fille a de quoi voyager.
Alors, voyage-t-elle? en wagon, en charrette?

Nul ne saurait le dire, encor moins le penser.
Car au lieu de partir et de venir sans trêve,
La petite fille, elle, immobile, elle rêve.


13


Ah! si je le pouvais, je mettrais ma maison
Tout au milieu des prés, et non loin d'une mare.
J'irais m'asseoir l'été, le soir lorsqu'il fait bon,
Quand la fraîcheur s'en vient, que la nuit se prépare.

La journée est finie à marcher dans les bois,
Sur les chemins de terre, et l'herbe qui se mouille.
A demain, ces chemins parcourus tant de fois!
Et la grenouille parle à cette autre grenouille.

Je n'irai pas en Chine, ou d'autres lieux lointains.
Je ne quitterai pas mon pays ni ma Lune.
Bien sûr, on me l'a dit, j'en saurai beaucoup moins.

Les étoiles non plus je n'en connais aucune.
Quand on n'a ni foyer ni Lune ni maison,
On erre n'importe où sans avoir de raison.


14


Il a quitté la terre, emporté par le vent,
Le beau navire blanc qui traverse l'écume,
Son capitaine est là, pilote de talent,
Prêt à naviguer loin, dans l'orage et la brume.

La mer n'est pas déserte, une voile apparaît,
Elle arrive tout près, saluer le capitaine;
Ils parlent de la mer, puis elle disparaît
Chercher parmi les mers l'aventure lointaine.

La tempête fait rage, un danger est certain;
Le navire s'effraie, un rocher le menace.
Le capitaine vient, et prend la barre en main,

Il doit absolument au destin faire face.
Jardin du Luxembourg (1), garde bien ton bassin
Pour ce petit enfant, qui s'agrippe au filin!


(1) Jardin du Luxembourg : jardin public à Paris.


15


Ce n'est pas eux ni moi, l'objet de tes amours,
Non, non, ce n'est que toi, qui rime avec toujours.
Tous tes frémissements, négligeant leurs requêtes,
Tu les gardes pour toi, mais non pour tes conquêtes.

Pour t'en repaître, toi, tu cherches leurs désirs,
C'est leurs affolements qui donnent tes plaisirs.
Consciente du pouvoir duquel tu les animes,
Sans forces tu les rends, par tes ardeurs ultimes.

Pourtant, si seuls les sens attirent tes amants,
Que te restera-t-il s'ils se font moins brûlants?
Si rien ne les retient, si rien ne les rappelle,

Et si, te regardant, ils te trouvent moins belle?
Et lorsque le troupeau des amants s'en ira,
Te laissant seule alors, ton âme périra.


16


Synopsis d'Antigone


Créon
Alors, Antigone, t'enterre ou t'enterre pas?

Antigone
Ouais, j'enterre.

Ismène
Oh, écoute Antigone!

Antigone
Toi, mêle-toi de tes oignons.

Créon
Allez, va donc chez ton Hadès.

Antigone
J'y cours, et un peu vite!




17


La neige a recouvert et les champs et les prés
Dont plus rien d'apparent ne montre la présence.
Ils se cachent du froid et dorment en silence,
Gardant pour le printemps l'herbe tendre et les blés.

L'étable se réchauffe à la chaleur des vaches,
La nuit, quand l'air se gèle, il y fait bon dormir.
Le paysan prudent le feu va soutenir,
Et pour couper le bois, il aiguise ses haches.

L'arbre couvert de givre au soleil resplendit,
L'azur a transpercé la forêt ajourée,
Le verglas enveloppe une branche gelée,

Et le petit village au soir bleu s'engourdit.
Enfin l'été revient, et qui donc se rappelle
Que la campagne blanche était tellement belle?


18


Après avoir erré sur la carte du Tendre,
Cherchant en vain l'amour sincère et absolu,
Il ne me restait plus, à la fin, que suspendre
Les courses sans espoir de ce temps révolu;

Ce temps, plein de remords, que maintenant je blâme,
Où l'Amour m'avait dit que jamais il ne fut.
Mais à travers la foule innombrable et sans âme,
Au détour d'un chemin, soudain elle apparut.

Son corps était gracieux et son âme était belle.
Et la fidélité, toujours, était sa loi.
Alors, en répondant à mon amour pour elle,

Elle a toujours veillé sur ma vie et sur moi.
Et c'est là que je vis la belle amour éclore
Dans les yeux merveilleux de mon Eléonore.


19


Elle était jeune et belle et fraîche et séduisante,
Les garçons n'avaient d'yeux que pour tant de beauté,
Ils la disaient gracieuse, ils la disaient charmante,
Sans jamais voir en elle une autre qualité.

Mais petit à petit elle perdit ses charmes;
Les garçons vieillissants perdirent leur désir.
Il ne lui restait plus qu'à verser quelques larmes,
Car les liens du passé ne faisaient que faiblir.

Elle avait très bon coeur et l'offrait en partage,
Espérant apporter réconfort et bonheur;
Mais hélas! les garçons n'en virent la valeur,

Pour eux elle n'était seulement qu'une image.
Quand on n'en trouve aucun dont il faut prendre soin,
A quoi donc sert un coeur si nul n'en a besoin?


20


A Nora


Assise auprès de moi, le dos à la clôture,
Dans l'herbe toute chaude au soleil de juillet
Dont les champs et les prés supportent la brûlure,
Le bras nonchalamment posé sur un paillet,

Elle s'emplit les yeux de l'image immobile
Que l'été porte en lui dans le temps des moissons.
Et nous deux, dédaignant la parole inutile,
Nous contemplons les bois, les bosquets, les buissons.

Un nuage tout blanc, tendrement nous regarde,
Sur un arbre un oiseau nous régale d'un chant,
Aux côtés d'une vache, une vache bavarde,

Le clocher sonne au loin sur un ton apaisant.
Et pendant tout ce temps, doucement et sans trêve,
Elle rêve mon rêve et je rêve son rêve.


21


Au sortir d'un concert, des amis se rassemblent
Autour d'un bon dîner, afin de discourir
Sur l'Art en général, et l'Art de se nourrir;
Ils sont du même avis, et puis ils se ressemblent.

"Ah, ce n'est pas chez soi qu'on peut si bien dîner!
- Ah, ce n'est pas chez soi qu'on peut si bien entendre
Ce pur enchantement, cette musique tendre
Que nous sommes venus tous ensemble écouter!

- Mais chez nous, nous n'avons qu'à prêter notre oreille,
Pour écouter en paix; tout Mozart est ici.
Tendez la main, prenez, chaque disque est choisi.

- Et combien le coffret, cette pure merveille?
- Le prix d'un bon repas dans un bon restaurant.
- C'est cher à ce point-là? Tant pis, c'est décevant."


22


Ils sont à la fenêtre, et dans le train qui roule
Ils ne voient pas au loin ceux qui marchent là-bas.
Ils ne voient que les prés, la rivière qui coule,
Quant à l'homme et sa vie, ils ne les verront pas.

Le train va vite, et puis, il ne s'arrête guère,
Ce qui ne permet pas de bien se rencontrer.
Est-ce là la raison pour laquelle on espère
S'arrêter quelque part et n'en jamais bouger?

Faut-il vraiment connaître un très grand nombre d'hommes,
Ou n'en faut-il qu'un seul et vivre avecque lui?
Savons-nous seulement un peu ce que nous sommes

Et ce que nous serons si l'amour nous a fuis?
Et pour ceux, dans le train, qui leur chemin poursuivent,
Que voient-ils chez tous ceux avec lesquels ils vivent?


23


Heureux le Professeur!
Le Lagarde et Michard
En fait le bon censeur
Du malheureux plumard. (1)


(1) Plumard : néologisme créé par l'auteur pour désigner l'homme de plume. Finale péjorative.


24


Du Lagarde et Michard qui trouble chaque élève,
De sa page sévère, une anxiété s'élève.
La sentence est écrite, et comment la changer?
Notre talent lui seul ne peut nous protéger.

Qui nous jugera donc, le prof ou bien le livre?
En classe il n'est aisé de savoir comment vivre.


25


Juillet s'est étendu sur les prés immobiles.
L'ombre, de loin en loin, d'un arbre bienfaisant
Rafraîchit la belle herbe aux odeurs si subtiles,
Que la vache rumine en silence, et rêvant.

Là-haut, sur la colline, éparses sur la terre,
Les gerbes de beau blé se dorent au soleil;
Puis elles attendront qu'en meules on les serre,
Pour préparer l'hiver, et son profond sommeil.

Dans les champs et les prés où la vie est sereine,
Dans la belle campagne où cette paix est reine,
Assis paisiblement, sans aller ni venir,

Entouré doucement par la vigne et le lierre,
Contre le vieux muret, sur le vieux banc de pierre,
Ah, oui! sous le ciel bleu, qu'il fait bon s'endormir.


26


Avoir affaire aux gens n'est pas chose facile;
On pourrait même dire : Oh, que c'est difficile!
Mais ne plaisantons pas, allons voir ce quidam
Et puis demandons-lui : "Pourquoi tout ce ramdam?

De quoi vous plaignez-vous, que la vie est morose?
Que vous manque-t-il donc? Ou bien est-ce autre chose?
Vous avez ce qu'il faut." "Comment! Vous moquez-vous?
Jamais je n'eus si peu ni d'espoir ni de sous.

Voyez ma vieille auto, naguère elle était belle.
Mais un an est passé, j'en veux une nouvelle.
Mon PC (1) a trois mois, un meilleur est sorti,

Je ne peux continuer avecque celui-ci.
Chez chacun d'entre vous, toute richesse abonde.
Comment puis-je donc vivre, isolé de ce monde?"


(1) PC : Personal Computer.


27


Dans mon Paris d'antan, vers mil neuf cent cinquante,
Où je vivais alors au calme et bienheureux,
Je sortis un beau jour, la pluie était battante,
Pour faire quelques pas sur les quais chaleureux.

L'île de la Cité, certains disent Lutèce,
Tout silencieusement voguait sans trop bouger,
Ce qui ne gênait pas les poissons en l'espèce,
Beaucoup trop occupés les pêcheurs à berner.

Que vis-je donc briller? mais... une gouttelette
De cette grosse pluie empressée à faiblir;
Et la vision brouillée enfin devint bien nette

De la Seine dont l'eau s'est mise à bon sentir.
Revoici le soleil; est belle la rivière
Aspergée à l'envi par la claire lumière.


28


La nuit est noire. Autour, les réverbères luisent.
Il a plu tout à l'heure, et le sol est mouillé.
Les dernières vapeurs sur la vitre s'épuisent
Et viennent décorer le vieux balcon rouillé.

Ce n'est pas le Paris frémissant de lumière,
Le Paris majestueux qu'à présent je décris,
C'est le Paris du soir où tombent les paupières
De celui qui revient accablé de soucis.

Loin des bruits de la ville et loin de l'allégresse,
Dans la rue où silence est ami du passant,
Il rentre à la maison où passa sa jeunesse

Pour se confier à ceux qui vivent en l'aimant.
Bonsoir, petite rue où l'homme se repose!
Mon Paris serait-il, sans toi, la même chose?


29


"Madame, c'est à vous, cette petite fille?
- Assurément Madame, elle est vraiment à moi.
- Oh! que c'est agréable, avoir sa fille à soi!
- Et je vais à présent fonder une famille.

- Vous devez avoir faim; je vous fais à dîner?
- Ce n'est pas de refus; je ferai la vaisselle.
- Je vais mettre la table. - Elle est vraiment très belle!
- Oh! je n'ai pas encor d'enfants à m'occuper.

- Nous avons le même âge, il faut se presser, chère!
- Allons au grand jardin, les enfants y seront!
- Allons-y! Par là-bas? - Tous les enfants y vont.

- Pour ma petite fille, il faut chercher un père;
Et qui le cherchera? - Ce seront les mamans.
- Vous voyez bien Madame, il est temps, j'ai huit ans."


30


Une gondole glisse, elle va lentement,
Emportant des clients à la mine indécise
Le long d'un canal clair, dans un souffle de vent,
Paraissant sous un pont, coupant l'onde qui frise.

Le gondolier s'ennuie, et porte un air distrait;
Il récite des noms, il récite des dates.
Les clients, hébétés, écoutent tout d'un trait;
Que voient-ils de Venise? Images disparates...

"Nous sommes en visite, il nous faut regarder!"
Mais la gondole passe à côté d'une barque.
Le gondolier sourit. C'est parce qu'il remarque

Des enfants dans la barque en train de s'amuser
Et de parler entre eux, ils ont tant à se dire.
Ah! ce sont ses enfants; ils lui font un sourire.


31


L'étroit canal s'endort, à cette heure nocturne;
L'onde s'est arrêtée, attendant le jusant.
Une fenêtre ouverte observe, taciturne,
L'immobile reflet d'une étoile au levant.

Rien ne bouge à la nuit, l'air ne change de place.
Venise est assoupie, on n'entend aucun bruit.
De l'onde rien ne vient pour troubler la surface.
La barque se repose, un réverbère luit.

Un pont conduit tous ceux qui sa maison habitent,
A Venise les ponts sont précieux pour cela.
Tout près de la maison, où deux balcons l'abritent,

C'est un recoin tranquille, aucun passant n'y va.
Un garçon, une fille, amoureux, amoureuse,
Elle le rend heureux et il la rend heureuse.


32


Au fond de la lagune, une blanche maison,
Sur une petite île aussi peu grande qu'elle,
Sous les arbres où sont des oiseaux à foison,
Attend pour le repas ceux que la faim appelle.

Ils entrent maintenant, à table ils vont manger.
Ils sont quatre pêcheurs, préparant pour Venise
Le bateau qui leur pêche au marché va porter.
Il faut le réparer, repos n'est pas de mise.

Dans la vaste lagune, aux si lointains confins,
Sur l'île plate et basse, observant la marée,
Une fleur convoitait l'un des bateaux voisins.

Partir ailleurs? Elle y serait allée,
Le bateau n'est pas loin, il suffit de monter.
Qu'advient-il de celui qui ne peut pas bouger?


33


Le tout petit enfant s'amuse avec le sable,
Ses parents sont sérieux, ils ne s'amusent pas.
Le tout petit enfant fait un rêve ineffable,
Ses parents sont sérieux, leur temps ne perdent pas.

Le tout petit enfant va dans l'eau, s'éclabousse,
Ses parents sont sérieux, font un bain de soleil.
Le tout petit enfant fait rire sa frimousse,
Ses parents sont sérieux, se livrent au sommeil.

Chacun, donc, joue au jeu qui lui plaît sur la plage.
L'enfant ne guette pas ce que font ses parents.
Cependant pour ceux-ci, l'enfant doit être sage

Et ne pas déranger leurs si précieux moments.
Mais l'enfant va grandir, oubliant son enfance,
Parent va devenir, prônant l'obéissance.


34


Comment faire un sonnet? Demandez donc au maître!
Il le sait mieux que vous et vous le fait connaître.
Un tel a rimé ci, puis l'autre a rimé ça,
Ensuite un novateur ce beau vers composa.

Quant à vous, écoutez ce qu'il vous dit de faire.
C'est à lui seulement que vous, vous devez plaire.
Car vous n'êtes ce tel; il faut vous inspirer
De son talent que vous, ne pouvez qu'hériter.

Il a, de l'art des vers, la connaissance intime,
Puisée avec labeur dans un auteur sublime.
Mais poëte, sans lui, vous saurez devenir,

Vous êtes le futur, il est sans avenir.
Fuyez, fuyez, fuyez les leçons de ce maître,
Et s'il n'est pas content, envoyez-le donc paître!


35


Sur un nuage blanc, plein de creux et de bosses,
Une fille songeuse, allongée, en repos,
Regarde tout en bas les chars et les carrosses,
Les vaches et les veaux broutant dans leurs enclos.

Sereine, dans le ciel, de là-haut elle observe
Avec ses yeux curieux qui cherchent à savoir,
Les secrets des labours que la terre conserve,
Bien cachés, avec soin, et que nul ne peut voir.

Mais au bout d'un moment, soudain, ses yeux s'attristent
En voyant le village où jamais ne trouva
Ceux qui peuvent aimer, et qui pourtant existent.

Elle cherche toujours plus que nul ne chercha.
Vivant sur son nuage une vie éternelle,
Elle rêve à celui qui sera tout pour elle.


36


Août. Les meules de paille et de foin se ramassent
Sous le soleil tout chaud de l'été vieillissant.
Et dans la grange ouverte où tous les grains s'entassent,
L'hiver pourra puiser les fruits tout en naissant.

Tout autour, l'air est calme, apaisé, rien ne bouge,
La moisson est finie, on va bientôt herser,
L'été va s'en aller, place à la feuille rouge,
En attendant l'hiver, quand le ciel va neiger.

A la ferme, à présent, le travail s'organise;
Le foin, l'orge apporter, ranger, battre le blé,
Et puis, tout terminer, bien avant que la bise

Ne leur fasse oublier les senteurs de l'été.
Et pendant ce temps-là, le bel été s'écoule,
S'offrant au paysan, au canard, à la poule.


37


Voyez! Voici venir un Sieur et une Dame.
Sont-ils amis tous deux? peut-être, on n'en sait rien.
Faut-il vraiment leur faire un tantet de réclame?
Je ne sais votre avis, et je doute du mien.

"Je reviens à l'instant de mon voyage en Inde,
Je me rends au marché dépenser quelques sous.
Mon grand désir était de trouver une dinde.
Ah, que je suis heureux d'être tombé sur vous!"

"Merci du compliment, vous m'en voyez confuse.
Il est fin, délicat, bien tourné, de bon ton.
De votre histoire enfin croyez que je m'amuse

Et je vous sais fort gré d'en être le dindon."
L'aventure, pourtant, finit un soir de fête;
Les voici maintenant dînant en tête-à-tête.


38


"Nous avons de la chance, il fait beau ces temps-ci,
Pas une goutte d'eau, c'est vraiment agréable!
Nous pourrons déjeuner dehors à notre table;
Parasol et glaçons, nos vacances ici!

- Oh, comme c'est curieux, cette herbe n'est pas verte!
- Mais c'est sans importance, et le jaune est si beau!
- Marcher au sec, c'est mieux que dans les flaques d'eau!
- Oh, que flâner est bon! Je me sens toute inerte."

"Les vaches n'ont plus rien à manger ces temps-ci,
Pas une goutte d'eau; l'herbe, à présent, est sèche.
Rien à manger, pas d'eau, c'est par-là que ça pèche.

Je me fais des soucis, elles ont bien maigri."
Et pendant ce temps-là tous ces gens en vacances
S'amusent follement et ne sont pas en transes.


39


Sur la neige étincelle un blanc bouquet d'étoiles.
Le soleil fait surgir turquoises et rubis.
Au-dessous du ciel bleu, profond, pur et sans voiles,
Tous les bijoux épars en neige sont sertis.

L'ombre noire dessine en estampes rêveuses
Une vieille barrière ouverte sur un pré;
Un arbuste enneigé; des branches pelucheuses.
Un bois clair, esquissé, sur la neige est brodé.

Elle est tout près, la vie, elle n'est pas absente;
Sous terre, il fait plus chaud, car le froid n'y parvient.
Dehors, on ne voit rien, mais là-bas, sur la pente,

Quelqu'un marche en peinant; et pour l'homme qui vient
Sur la neige muette, et froide, et désolée,
C'est doux de voir au loin fumer la cheminée.


40


Juillet était très beau, la campagne était belle,
Le chemin serpentait, il faisait bon flâner,
La rivière coulait, il faisait bon rêver,
Dans le calme serein que la nature appelle.

Mais dans le fond du ciel vient le nuage noir.
"Ah, que c'est beau, bleu, noir!" Et le peintre s'anime.
"C'est comme en poésie, on croirait une rime!"
Disposant ses pinceaux, il s'assied, plein d'espoir.

L'épeautre pousse aussi dans la belle campagne.
Or le noir, c'est le vent, l'orage qui détruit;
Le paysan se hâte, et la peur l'accompagne,

Car de son dur labeur, la moisson est le fruit.
Pour l'un la promenade, et pour l'autre l'épeautre.
La journée était longue, et pour l'un et pour l'autre.


41


Au bord d'une fenêtre un chat réfléchissait.
Il regardait un homme aller d'un pas rapide,
Et puis, l'ayant jaugé de son regard limpide,
Il se couchait en rond... Et le chat somnolait.

Une image passait au fond de sa cervelle,
Image qui montrait l'homme et ses créations;
Les routes, les maisons, les autos, les avions,
Les choses qui faisaient que sa vie était belle.

"Je ne suis pas un homme, et ne suis pas un rat;
Chat je suis! Je choisis tout ce que je préfère,
Ainsi que le faisaient et mon père et ma mère.

Je sais que l'homme dit : Moi, devenir un chat!"
Et le chat se disait, tout en piquant un somme :
"Et moi, croyez-vous donc que je veuille être un homme?"


42


Le bonheur, c'est chez soi, vivre dans sa maison.
Oui, mais pour l'acheter, il faut beaucoup de sous.
Epargnons! Epargnons! et nous serons chez nous,
Dans notre nid douillet, et en toute saison.

Il a fallu longtemps, tant de choses à faire,
Nous avons travaillé sans cesse, jour et nuit.
Mais voilà maintenant qu'un très bon espoir luit,
Notre belle maison saura bientôt nous plaire.

La maison se construit, avec le plus grand soin;
Nous ne nous cachons pas l'impatience à l'attendre.
Quand tout sera fini, qu'allons-nous entreprendre?

Il fait si bon l'été, la mer, partir au loin...
Notre maison est prête, on a toutes les chances;
A peine avant juillet. Partons vite en vacances!


43


Comment juger, en classe, un devoir littéraire?
Le prof a son idée, et la mienne est à moi.
Une lutte s'engage, où c'est chacun pour soi.
Je blâme son avis, ce n'est pas pour lui plaire.

Contre lui, je ne puis; lui, contre moi, peut tout.
Mais je me dois à moi, je défends mes idées,
Et contre lui, sans peur, je garde mes pensées.
Je suis prêt à combattre, et j'irai jusqu'au bout.

Un rêve... J'aperçois un grand portail qui s'ouvre
Sur une immense école où j'entre prudemment,
Et j'entends tout auprès un doux chuchotement.

Je me retourne alors, et mon regard découvre
Les hommes, près de moi, qui me parlent tout bas :
"Ne pense pas, suis-nous et ne t'inquiète pas!"


44


Le tout petit étang s'est figé dans la glace,
S'illumine au soleil, miroite dans le noir.
Le givre duveteux la branche morte enlace.
Aucun oiseau ne chante au matin comme au soir.

Dans la glace s'est prise une herbe solitaire.
Les feuilles sur l'étang tout leur or ont perdu.
Un nid, abandonné, sur l'arbre séculaire,
Avec patience attend le printemps revenu.

Au milieu du versant d'une douce colline,
Une source; un bosquet se dresse tout autour,
L'eau coule doucement, et la neige satine.

Le champ attend les fruits de son dernier labour.
Un chemin sinueux que le silence hante
Disparaît lentement dans la brume naissante.


45


Lorsque j'étais enfant, j'allais prendre mon train.
Mais le temps a passé; seulement ma mémoire
M'a guidé vers ce quai. Je ne puis pas le croire,
Mon wagon est bien là, je ne viens pas en vain.

La rue est animée autour de notre gare,
De partout chaque élève est pressé d'arriver.
Le train n'attend jamais, on ne peut donc flâner;
Il a fallu quitter le canard et sa mare.

Déjà, le quai s'emplit, et d'autres vont venir;
Un élève et sa mie arrivent tout ensemble;
L'autre, nonchalamment, d'aucun retard ne tremble.

Tous mes amis sont là, c'est l'heure de partir.
Soudain, tout s'évanouit, la gare est délaissée,
Et le wagon ne bouge. Ah! la ligne est fermée.


46


A travers la campagne, en flânant lentement,
Se promènent les rails, se promènent leurs songes.
La terre les entoure et parle doucement,
De la terre jamais il ne vient de mensonges.

Les rails vont dans les bois, ils vont dans les moissons,
Ils vont dans les vergers, ils vont dans la prairie,
Au bord de la rivière ils vont voir les poissons,
De toute la campagne ils partagent la vie.

Ce n'est pas pour flâner que les rails sont construits.
Pour porter les grands trains, les longs rails se préparent,
Les traverses de bois, et les cailloux réduits.

Droit devant ils s'en vont, au loin ils se séparent;
Tout lisses et brillants, d'acier sont revêtus.
Mais les rails sont bien seuls, les trains n'y roulent plus.


47


Comment rentrer chez soi? Le bon train il faut prendre.
On met un peu de temps, on est sûr d'arriver,
Il suffit pour cela qu'on aime voyager.
Déjà, pour commencer, en gare il faut se rendre.

Un parterre de fleurs sur le quai nous attend;
La grande berce blanche à l'ombelle épanouie,
La fleur où mousse l'or, dont la vue est réjouie.
Voilà les rails partis, la vue au loin s'étend.

Le voyage, à présent, s'approche de son terme;
Les deux coquelicots profitent du soleil;
Les ronces, de l'automne, attendent le réveil.

Kilomètre vingt-six, nous sommes à la ferme.
"Mais les fleurs, direz-vous, ça ne voyage pas!"
Et les graines au vent? regardez-les là-bas!


48


C'est la fin de l'automne, et il ne neige encore,
Les nuages sont gris, il pleut tout doucement,
On devine les monts que la brume dévore,
Et les bois effeuillés qui dorment tristement.

Trois vaches, lentement, dans l'herbe silencieuse,
Emergent du brouillard, et paissent en marchant.
Aucun bruit ne parcourt la plaine mystérieuse,
Et les oiseaux du ciel ne volent maintenant.

Mais dans la grange sèche, odorante et paisible,
Où les outils, la paille et l'échelle sont mis,
La poule cherche un grain de blé presque invisible,

Et les calmes canards reposent assoupis.
Et nous deux, enlacés, tout là-haut sur la paille,
Nous rêvons à toujours, et notre coeur tressaille.


49


Une abrupte montagne émerge des nuées
Qui recouvrent la terre et vont à l'horizon,
De la montagne on voit les cimes désolées
De solitaires monts d'où ne vient aucun son.

La nuée est partie, et le soleil éclaire
Le fond de la vallée où sont les prés, les bois;
Les prés veulent parler, les bois veulent se taire;
De là-haut on ne peut en connaître les lois,

Car la montagne est loin, trop loin pour que les hommes
Puissent montrer à tous leurs talents et leurs fruits,
Trop loin pour leur montrer les vergers et leurs pommes,

Trop loin pour leur montrer les sources et les puits.
D'en haut rien ne verrez, car l'homme est comme un livre,
Il faut s'en approcher si l'on veut le voir vivre.


50


"Ah! Regarde ce livre; il faut que je l'achète.
- Il est cher. - Que veux-tu, je l'ai cherché longtemps,
Et il ne parle pas de pluie et de beau temps.
Il est rare, sais-tu; je le veux, je répète."

Cultivé, ce garçon, tout autant qu'élégant,
Il ravage les coeurs, il est maître ès pensées,
Sur son chemin il n'est que pauvres éplorées,
Sa culture surprend l'homme le plus savant.

"Mais tu n'as pas d'argent! - J'ai juste pour mon livre.
- Mais comment feras-tu pour la sortir ce soir?
- Nous marcherons à pied, nous serrant dans le noir.

Tant pis pour mon argent! Sans lui je ne peux vivre;
Ce livre est excellent, il n'est rien d'aussi bon!
Oh... mais là-bas, que vois-je? Un fort joli blouson!"


51


Tu es tendre avec moi comme du pain de mie.
Je suis auprès de toi, et je pense, m'amie,
Que tu es mon amour, et que tu es ma mie.
Y en a-t-il une autre? eh non, je n'en vois mie!

Je suis poëte enfin! Mes hiatus ont bon dos.
Lisle fait bien rimer "troupeaux" avec "repos"!


52


Dans la brume du soir où le soleil se noie,
Où le jour s'évapore et où la nuit renaît,
Un arbre silencieux dont la feuille rougeoie
Songe au printemps perdu lorsque l'hiver paraît.

Les dernières lueurs, d'un ru caressent l'onde;
Avant de s'endormir, la vache boit son eau,
Et la souris ailée a commencé sa ronde
Tandis que le sommeil s'empare de l'oiseau.

Et l'homme qui, toujours, dépend de la Nature
Et qui doit sans répit faire face à son sort,
Après une journée où la fatigue dure,

Sa tâche terminée, il rentre et puis s'endort.
Et la nuit, à présent, en paix étend ses voiles
Sur la Terre perdue au milieu des étoiles.


53


Le ciel s'est obscurci, les nuages s'approchent,
Le vent s'est déchaîné, l'orage n'est pas loin,
Et les gouttes déjà sur les épis s'accrochent,
Et, lourdes, font plier l'herbe à faire le foin.

Le vent souffle en rafale, et les orges tourmente.
Les champs, telle une mer, de vagues sont emplis.
A l'homme ils ont promis la moisson opulente;
Les gouttes sont les grains, l'écume est les épis.

Que ce spectacle est beau! du poëte il est digne.
Or pour le paysan, il inspire terreur.
A son proche malheur, d'avance il se résigne,

Mais il garde l'espoir que ce soit un bonheur.
Le paysan renaît de son espoir si frêle,
Le danger est passé, de meurtrière grêle.


54


Le ciel s'est recouvert, en volutes gracieuses,
D'un nuage léger, par endroits transparent;
Oubliant le jour sombre et les saisons pluvieuses,
Il mélange le clair et l'obscur du moment.

Et dans l'herbe, les fleurs, au milieu des prairies,
Dans l'ombre du nuage aux contours rayonnants,
Allument les lueurs de mille pierreries
Qui brillent au soleil en des feux envoûtants.

De la proche maison, une petite fille
S'en est venue asseoir auprès des mille fleurs;
Elle est, comme on le dit, très douce et très gentille,

Elle est venue ici pour "broder des couleurs".
Les fleurs des champs seront la gemme qui s'embrase,
Et non de pauvres fleurs qui trônent dans un vase.


55


L'homme suit un chemin qui monte et qui serpente,
Un chemin rocailleux, plein d'embûches, montant
De bien rude façon, et jamais ne l'aidant
A gravir sans peiner la difficile pente.

Et l'homme s'éloignait d'un pas lourd, régulier,
Sans goûter les beautés de l'aride montagne,
Sa fourche auprès de lui comme seule compagne,
Et sourd au joli chant du ruisseau familier.

Un promeneur cherchait une route très bonne,
Paisible, parfumée, et propice au plaisir
De marcher, de rêver, de vivre et de choisir.

Cependant, il voit l'homme, et pour le coup s'étonne :
"Pourquoi marcher ici? Ce chemin n'est pas bon!
- Ce chemin qui serpente, il mène à ma maison."


56


Qui sont-ils, ces gardiens, et que gardent-ils donc?
Derrière le mur noir, l'entrée à la caverne,
Qu'éclaire de son mieux une rouge lanterne,
Ou encor simplement d'un vieil arbre le tronc?

Ces gardiens vigoureux, pourtant tout en souplesse,
Paraissant effrayants, ne sont qu'arbres tordus;
Mais ne vous y fiez pas, il faut les avoir vus,
Ils sont liane chacun, et veillent sans faiblesse.

Et dans ce sombre lieu, sous le couvert des bois,
Les grenouilles s'en vont nager dans une mare,
Chacune, gentiment, d'une mouche s'empare.

Et aujourd'hui, la vie est tout comme autrefois.
Effrayante, la liane? Oh, non! on la louange.
Effrayante grenouille? Oh, oui! lorsqu'elle mange.


57


Comment rentrer chez soi? L'affaire est d'importance;
Et Roussette paraît en mesurer l'ampleur.
Le long de cette haie, avec force insistance,
Elle cherche la porte avecque grande ardeur.

Que fait-elle donc là? Qui donc pourrait le dire?
La Roussette, bien sûr! Allons lui demander.
Et bien évidemment, elle ne peut l'écrire,
Alors, prenons sur nous, et tâchons de l'aider.

Elle partit tantôt, barrière étant ouverte;
Le paysan, distrait, a raté son départ.
La voici, gambadant d'un pas vif et alerte,

Suivant la grande route et paissant dans l'essart.
Qu'on soit dans un enclos, qu'on soit dans la nature,
On termine toujours par chercher sa pâture.


58


Le pré va doucement au bord de la rivière
Que l'on devine à peine, enfouie entre les joncs,
Les feuillages touffus qui forment sa lisière
Dont les jalons sont faits d'épais et larges troncs.

Nonchalants, les poissons se promènent dans l'onde;
La libellule va, de son vol si gracieux,
Dessus les nénuphars, que la grenouille inonde,
Sautant de l'un à l'autre en ses bonds harmonieux.

L'homme aime les poissons, et s'en montre fort digne :
Les arbres il abat, pour mieux les regarder
Et pour pouvoir au mieux leur faire un petit signe;

Il les apprête enfin pour mieux s'en régaler.
Rivière, tu semblais un lieu de rêverie,
Tu ne sembles plus même un lieu de flânerie.


59


Fontaines et bouquets de plantes délicates
S'étendent sur le bord du chemin ombragé,
Et les petites fleurs aux tendres couleurs mates
Font penser aux flocons d'un hiver enneigé.

Qu'il fait bon promener sur le chemin de terre
Sa rêveuse pensée et son calme regard
Qui contemple la haie et doucement enserre
Le feuillage de l'arbre, et son oiseau bavard!

Mais la fleur, à présent, pousse chez le fleuriste,
Et les routes ont pris la place des chemins.
Où doit se réfugier le malheureux artiste

Qui veut montrer la vie, et non de beaux dessins?
Et le chemin bordé de plantes vaporeuses
Se retrouve bordé de constructions hideuses.


60


Avril. La pluie a pris possession de la ville.
Le passant se lamente, et se presse en marchant,
Car il eût préféré le beau temps entre mille
Et le brillant soleil où l'on marche en flânant.

Mais en ville la rue est courte et l'on arrive
Très vite à la maison où l'eau ne rentre pas;
Et la pluie apparaît à présent fugitive,
On l'oublie aussi bien qu'un tout petit tracas.

Il pleut sur la campagne, et la terre ruisselle,
Le blé vient de sortir et se baigne dans l'eau;
Et s'il pleut tout avril, la moisson sera belle

Et les épis dorés luiront sur le coteau.
La pluie est-elle donc soit bonne soit mauvaise?
Les uns ne l'aiment pas, les autres sont à l'aise.


61


Il part un beau matin, et elle lui demande :
"Où vas-tu? - Je m'en vais à Tours, pour un travail."
Or, il allait à Blois, où l'amour le commande,
Avant de retourner sagement au bercail.

Mais à Blois, par erreur, il manque de descendre,
Et le train, jusqu'à Tours, poursuivit son chemin.
"Bon, tant pis! se dit-il, au travail vais me rendre,
Et à Blois reviendrai quelque autre beau matin."

Retour. Elle s'enquiert : "A Tours, la Loire est belle?
Et puis, à ton travail, cela s'est bien passé?
- La belle eau de la Loire au soleil étincelle,

Et le travail fut bon, je ne l'ai pas gâché."
Mensonge ou vérité? Cher Lecteur, que t'en semble?
Oserais-je le dire : à l'autre l'un ressemble?


62


La brume d'un jour chaud envahissait la plaine.
Tout là-haut on voyait les oiseaux dans le ciel,
Les ruches bourdonnaient des serviteurs du miel,
L'eau sourdait doucement du creux de la fontaine.

La terre reposait à la fin des moissons
Après avoir offert ses fruits en abondance;
Sous les arbres soufflait un vent de nonchalance
Qui ne donnait pas même aux feuilles de frissons.

Et de l'autre côté d'une lente rivière,
Près des joncs élancés s'amarrait un bateau.
Un bois montait là-bas tout le long d'un coteau;

Au loin on distinguait le mur d'un cimetière.
Sur le flanc du coteau, sous le feu du soleil,
Le cimetière dort de son profond sommeil.


63


Il fait bon dans l'étable, un jour d'hiver glacé.
Une vache sommeille, et songe sur sa paille.
A quoi donc songe-t-elle en ce jour de grisaille
Qui parfois fait penser que le soir est tombé?

A quoi voulez-vous donc que cette vache songe?
Au printemps qui revêt d'herbe fraîche le pré,
Aux fleurs dont vient le goût du lait qu'elle a donné,
Et que le soleil brille, et que le jour s'allonge.

C'est bête, direz-vous, mais à quoi songe-t-il,
Cet homme dont l'hiver à son travail se passe?
Au printemps, aux loisirs, dont jamais ne se lasse,

Cet homme supérieur, à l'esprit si subtil.
La vache broute au pré, ça sert à quelque chose.
Les loisirs? C'est que l'homme, il faut qu'il se repose.


64


La neige a recouvert les champs, les bois, les prés.
Le soleil s'est fondu dans la blancheur luisante
Du velours des flocons sur la plaine envoûtante
Où rien n'ose bouger sous les vents apaisés.

D'une haie on perçoit la silhouette noire.
Les bosquets sont en fête, et de blanc sont vêtus.
Pour mieux les admirer, les oiseaux se sont tus.
De l'étang le cristal paraît comme une moire.

On voit fumer le toit d'une chaumière, au loin;
Les vaches sont au chaud, en paix, dans leur étable;
La grange est bien rangée, on a rentré le foin;

Le repas est servi, les hommes sont à table.
Pour le printemps prochain, il faut tout préparer,
Sous la neige, le grain est tout prêt à germer.


65


"Penser profondément; dans son être descendre;
Ne jamais survoler - au fait, comment fait-on? -
A fouiller son penser ne jamais dire non,
Et à vouloir en soi s'approfondir, se tendre."

Lorsqu'on est à parler avec de bons amis,
Voilà les bons conseils que souvent ils prodiguent;
Et puis pour vous pousser à les suivre, ils se liguent,
Espérant qu'un beau jour vous, vous serez conquis.

Vous voici donc tout prêt à suivre leur idée
Qui vous fera savoir comment vous êtes fait,
Et qui vous mènera par un chemin parfait

Jusqu'au fond de votre être et de votre pensée.
Une question se pose, et qui peut inquiéter :
Si l'on va tout au fond, pourra-t-on remonter?


66


Il faut, dit-on, aller à sa propre rencontre,
Quelque part, bien au loin, un jour qu'il fait très beau.
C'est le seul, paraît-il, moyen qui nous le montre,
Comment, quand et pourquoi fonctionne le cerveau.

Alors, rencontrons-nous. Mais une question reste :
Comment se rencontrer si l'on ne forme qu'un?
Pour commencer, il faut avoir le cerveau leste,
Le séparer en deux, puis le rendre à chacun.

Ne perdons pas de temps, et mettons-nous en route;
Il faut arriver vite, et non traîner vingt ans.
Mais il ne faudrait pas qu'on se rentre dedans!

Pressons-nous, pressons-nous! nous y serons, sans doute.
Si l'un est là trop vite, ou si l'autre est distrait,
Les deux demi-cerveaux s'effaceront d'un trait.


67


Ne sois pas aussi triste, à voir dorer les feuilles,
Et l'automne sans qui le printemps ne serait;
De même que la vigne, où le raisin tu cueilles,
Qui donnera le vin, celui qu'on espérait.

L'automne, c'est partir pour une traversée
De laquelle on rapporte et des fleurs et des fruits;
Secrète traversée, assoupie, enneigée,
Attendant patiemment et des jours et des nuits.

Alors regarde bien comme l'automne est belle!
L'or, le pourpre et l'azur se confondent entre eux,
La nature s'endort, mais la vie la rappelle,

Pour qu'elle se prépare à rendre l'homme heureux.
Embellis notre vie, automne rougeoyante!
Que parcourt tendrement la rivière ondoyante.


68


Une fleur s'est ouverte, et voici la seconde,
Printemps, te revoilà! Le ciel est revenu,
Et la neige a fondu, l'on peut voir couler l'onde,
Les oiseaux sont joyeux, leur nid n'ont pas perdu.

La terre, découverte, attend les retrouvailles
Avec le paysan qui reprend son labeur.
Aux champs il va matin commencer les semailles,
Pour donner au foyer nourriture et bonheur.

Et si ce beau matin venait un noir nuage
Pour détruire à jamais la future moisson,
Que leur resterait-il, la joie ou bien la rage?

Et le si beau printemps, sera-t-il toujours bon?
Printemps, autres saisons, que veulent-ils donc dire?
Et des hommes le nom, ne faut-il donc qu'en rire?


69


Le blond, le bleu, le rouge, et le blanc des nuages,
Ce sont les champs de blé, de fleurs tout parsemés,
Bleuets, coquelicots, petites fleurs sauvages,
A la fin du printemps les champs en sont parés.

Un petit souffle d'air sur les champs se promène,
Fait frissonner les fleurs, balance les épis.
Les berces blanches font le devant de la scène,
Et regardent passer le promeneur surpris.

Pourquoi passer ici? rien de fameux n'attire
Ceux qui cherchent à voir le rare inattendu.
On peut seulement voir le soleil qui se mire

Dans l'étang sur lequel un nénuphar s'est plu.
Mais notre promeneur recherchait l'aventure,
Il savait que la vraie était l'humble nature.


70


Un Chat discutait ferme avec un Hérisson.
"Pourquoi portes-tu tant de pointes acérées?
- Et ta moustache donc, aux pointes si serrées?"
Très étonné, le Chat en resta sans un son.

"Ta moustache est un guide, et ma pointe protège",
Décréta Hérisson. Et le Chat réfléchit :
"Pointe ou pointe, le mot est le même, on m'a dit;
Et voici que c'est faux! quel est ce sortilège?

- Les hommes sont ainsi, Hérisson énonça,
Deux choses pour un nom, c'est bien leur habitude;
Et pour savoir laquelle, eh bien, c'est souvent rude!"

Le Chat fit la grimace, et moustache hocha.
Pointe acérée ou molle, avec un mot on joue;
Avec ce même mot, l'on condamne ou l'on loue.


71


Un Perroquet parlait au Perroquet voisin :
"Dis-moi ton opinion! Que penses-tu du monde?
- Laisse-moi réfléchir, mes souvenirs je sonde;
Qu'a donc dit mon journal qui parle le matin?

Il a dit, donc je dis, que la vie est morose,
Que le monde va bien, qu'il ne faut s'inquiéter,
Et ce qu'un autre a dit ne vaut pas d'en parler,
Et que de l'avenir, on n'attend pas grand chose."

Deuxième Perroquet : "Moi, mon journal à moi,
Celui qui parle vrai, m'a dit tout le contraire,
Et je sais à présent ce que chacun doit faire;

On doit donc répéter chaque journal à soi."
Heureux, les perroquets! ils ne se rendent compte
Que l'homme a, quant à lui, l'intelligence prompte.


72


Le ciel est lumineux, la nature est sereine,
Le ruisseau coule auprès des buissons parfumés,
L'oiseau vole là-haut tout en scrutant les prés,
Car même dans les cieux rien ne se fait sans peine.

L'oiseau sait bien qu'il faut nourrir tous ses petits.
Il se met donc en chasse et dans les champs s'envole,
Il cherche sans répit et rien ne le console,
La chasse se poursuit sans donner de profits.

Soudain, il voit un ver, et le repas s'amorce.
Alors rapidement, abandonnant son vol,
Il vient tirer le ver qui s'enfouit dans le sol,

Puis il le tient serré dans le bec avec force.
Le bec s'étant ouvert, le ver s'est cru sauvé;
Dans le bec des petits, le ver est retombé.


73


Un roi voulait savoir lequel était honnête
De tous ses courtisans qui briguaient la faveur
D'être nommés ministre avec grande rigueur.
Il y pensa longtemps, et conçut une fête.

Puis dans l'isolement d'un calme corridor,
Et pour voir si les gens s'en empliraient les poches,
Dans plusieurs sacs ouverts, les uns des autres proches,
Sans rien dire à personne, il mit des pièces d'or.

Il avait pour eux tous la plus grande méfiance;
Il fit danser les gens pour voir le plus léger,
Pour savoir si peut-être ils pourraient le voler,

Et lequel méritait sa plus grande confiance.
Celui-ci fut ministre, et tout auréolé.
Depuis, jamais le roi ne fut autant volé.


74


Les tristesses d'enfant, voyons, quelle importance!
C'est chose fort mineure, et ne mérite pas
Qu'on se penche dessus avec trop d'insistance;
Et les enfants ne font que causer des tracas.

Des filles et garçons dans un camp de vacances.
Je me sentais bien seul, sans amis pour m'aider,
Je cherchais des amis dans ces réjouissances,
Je voulais des amis avec lesquels parler.

Je crus avoir trouvé l'occasion fort bonne
Au cours d'un feu de camp qui dura tout le soir,
Mais chacun s'occupa de sa propre personne,

Sans vouloir me parler, me laissant sans espoir.
Abandonné de tous, je me sentais bien triste.
Elle me prend la main. Plus rien d'autre n'existe.


75


Six heures du matin, le réveil a sonné;
La femme et son mari pour leur travail se pressent.
Au bureau la voici, tous les travaux l'oppressent;
Près d'elle tout le jour son patron est resté.

Pour un travail urgent, ils déjeunent ensemble;
S'ils tardent, le client ne sera pas content.
Les voici tous les deux pleins du désir ardent
D'achever l'entreprise, et l'un pour l'autre tremble.

De fatigue épuisée, et quand tombe le soir,
Elle prend son enfant qui vivait à la crèche.
La voici près du four, et du linge qui sèche.

Le repas est fini, maintenant il fait noir.
La femme et son mari, sortis tous deux du bagne,
Vont se coucher ensemble, et le sommeil les gagne.


76


Elle fit connaissance au cours d'une soirée,
D'un garçon merveilleux, au coeur pur, généreux,
Ayant les qualités pour que l'on soit heureux.
Dès lors, il fut sa vie, et elle, son aimée.

Un jour, se promenant, qui voit-elle marcher?
Bras dessus, bras dessous, le garçon, une fille,
Une fille vraiment toute belle et gentille.
Encore un tantinet, et il va l'embrasser.

Il se tient tout près d'elle, avec elle bavarde.
Elle les voit tous deux et n'en croit pas ses yeux.
Il l'a vue. Et sa main lance un signe joyeux.

La fille, à ses côtés, curieusement regarde.
Il s'approche. Elle sent une tristesse au coeur.
"Bonjour! Comment vas-tu? Je suis avec ma soeur."


77


Ce matin, il a plu, les fleurs du pré revivent,
L'herbe humide se dresse, et la vache la boit.
Une flaque reflète un ciel où se ravivent
Les teintes d'un azur le plus joli qui soit.

Sur un chemin de terre où des poules s'avancent,
Un plantain pousse au bord, négligé des oiseaux;
Derrière la maison, des grands arbres s'élancent
Montant tout droit au ciel, ainsi que des flambeaux.

Des champs ne sont pas loin, sinon, pourquoi la herse?
Une herse où la rouille a mordu dans le fer.
Puis un long tas de bois, aux couleurs de l'averse;

On sera bien chauffés, lorsque viendra l'hiver.
Décrire ce village? en faire un très beau livre?
Je n'en saurais parler... mais il fait bon y vivre.

 

 

(Inachevé)

 

 

 






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